{ BOUH ! } - Misha Stanford

Depuis une heure, cet humain sent une présence qui le poursuit sans relâche. Depuis une heure, il presse subitement le pas, se retourne sans voir personne, sursaute à chaque bruits de pas. Cette présence, c'est moi. Ces bruits de pas, c'est son imagination... Je suis silencieuse, et pour cause: je flotte. S'il ne voit personne, c'est normal. Il s'agit d'un faible, il ne peut pas voir les esprits... Il est tellement banal que je n'ai aucun intérêt à le tuer. Non, cette nuit, c'est un jeu.
Je le suis dans les rues de Seattle, ménageant sa peur, préparant l'instant fatidique de sa mort prochaine. Il n'est qu'un pion. Comme tous les autres. Il n'est rien par rapport à l'échelle temporelle ou mondiale. On peut donc dire que je lui rends service. Peut-être deviendra-t-il comme moi. Peut-être sera-t-il enfin utile sur cette Terre que je ne parviens pas à quitter.
Jentends son rythme cardiaque s'intensifier. Il se retourne et scrute chaque recoin craintivement. Enfin, il s'engouffre dans le cimetière. Parfait: c'est un lieu propice à la mort, et j'aime les plaisanteries macabres. La mort développe un certain humour, grinçant et acerbe.

L'humain s'approche lentement d'une tombe sur laquelle je peux lire un nom: Nora Parker. Une ancienne amante, une soeur, peut-être ? Peu importe, elle n'était rien, et la mort l'a libérée. Une nouvelle poussière que le monde a laissé s'échapper. Rien de plus. Le voilà qui se met à geindre. Peu importe: je suis patiente.

- C'est encore moi, mon amour... Une fois de plus... Tu me manques, si tu savais... Mais je trouverai, crois-moi, je trouverai le salaud qui t'a fait ça. Rien n'est pareil sans toi. Quand je pense que je n'entendrai plus jamais ton rire... La façon dont tu me torturais les oreilles dès le matin, quand tu prenais ta douche... Il n'avait pas le droit de faire ça. Pas à toi...

J'hésite à l'interrompre maintenant. Il a l'air tellement désespéré qu'il serait capable de se tuer sans mon aide.

- Je te promets que je me battrai, Nora... Je vivrai pour me souvenir de toi...

Mon sourire se transforme en éclat de rire. Le voilà qui se retourne brusquement. Il croit surement avoir des hallucinations... Parfait.

- Il y a quelqu'un ? Répondez ! qui est là ?

Je me poste derrière lui en traversant son corps. Un frisson le parcourt alors. Je me concentre: il faut que je parvienne à rendre ma main et mon visage visibles quelques instants. Juste un peu de concentration... J'effleure à peine son épaule. Il se retourne et voit mon visage:

- Bouh ...

Un hurlement retentit, tandis que je rapproche mon visage du sien pour lui donner le baiser de la mort. J'aspire sa vie lentement, en me délectant de chaque gorgée. Son corps retombe inerte, dos sur la tombe de son amour déchu, les bras en croix. Bravo, brave humain, tu as pu la rejoindre...

Un bruit de pas me fait tourner la tête. Une jeune femme se tient là, hésitante. Un regard suffit à me faire comprendre qu'elle est différente. Elle me voit, je le sens. Une chasseuse...

Elle me fait face, tremblante, et semble terrifiée. Elle a de quoi. Pourtant, je ne compte pas la tuer, non. Pas maintenant. Quoi qu'elle n'a aucun moyen de le savoir. Je la contemple un instant, toujours souriante. Même le chapelet qu'elle tend vers moi est dérisoire. Elle n'a aucune chance, et elle le sait. Ce qui ne l'empêche pas de tenter désespérément de me blesser. Dans un sens, je l'admire. Aurais-je réagi pareil à sa place ? La question ne se pose pas. La mort n'a pas voulu d'elle: mais elle m'a accueillie, moi. Et notre seul point commun se transforme alors en opposition: je suis son ennemie, elle est ma proie.

La logique voudrait que je la tue. Elle est une ennemie potentielle, même si je ne la crains pas. Mais quelque chose dans son attitude m'en empêche. Ce ne serait même pas drôle, alors à quoi bon ? Non, la meilleure chose à faire est d'attendre... Le moment propice, opportun. Il ne tarde jamais. En attendant, comme à mon habitude, je travaille mon sens de la mise en scène. J'adore les effets théâtraux. Je disparais subitement de sa vue pour me retrouver juste derrière elle, dans un nuage de fumée pestilentielle.

- Bonsoir, petite humaine. Alors comme ça, tu me vois ?

Tout est dans le ton. Inutile de chercher à être menaçante. Une voix légère pour une simple constatation suffisent à effrayer bien plus qu'un rire maléfique. Et c'est également le cas pour cette chasseuse. Elle semble si jeune. Dans une autre vie, elle aurait pu être une soeur. Dans une autre mort, ma protégée. Mais le fait est que tout est différent: je suis mauvaise. J'aspire à la voir lutter contre sa peur, se torturer de questions inutiles... Doit-elle fuir, se battre ? Entrer dans mon jeu ou tenter de changer de sujet ? Toutes ces questions trottent dans sa petite tête, et je m'en amuse. Quoi qu'il arrive, je mène le jeu. Elle le sait... Elle le sait très bien, mais son instinct de survie domine.

- C'est mauvais, très mauvais pour toi...

Son chapelet s'agite toujours dans sa main tremblante.

- Inutile de te fatiguer.

« Bon sens du spectacle »

- Bonsoir, petite humaine. Alors comme ça, tu me vois ?

- C'est mauvais, très mauvais pour toi...

- Inutile de te fatiguer.

_ Je n'ai pas peur de toi.

A ma dernière réplique, elle ose relever les yeux vers moi. Soudain, il n'y a plus de jeune femme effrayée par son destin, mais une combattante courageuse, qui brave la mort. C'est dans ses yeux qu'a eu lieu tout le changement. Nulle part ailleurs.
Même ses mains ont arrêté de trembler.

Je n'ai pas peur de toi

Elle me fait presque sourire. La transformation est convaincante, c'est vrai. Mais j'éprouve encore plus de plaisir à ravir la vie de ceux qui luttent pour la garder. Un meurtre comme celui de l'homme juste avant n'est amusant que pour la mise en scène. Mais voler l'étincelle de vie d'une personne qui espère encore, qui se bat jusqu'à la fin, c'est la jouissance. Malgré tout, j'incline ma tête de côté, signe d'un certain respect.

- Honnêtement, petite humaine, crois-tu que cela change quelque chose à ton sort ?

Je la laisse songer à ce qui l'attend. Elle n'en sait rien, non. Elle ne connaît rien de la mort. Pour elle, je veux qu'elle soit lente, et douloureuse. Ce sera mon dernier hommage à son courage, contrairement à l'autre pleutre que je viens de tuer.
Je sais qu'elle ment. C'est évident. Mais elle fait preuve d'une telle maîtrise de soi que je l'en aurais félicitée. La différence entre le courage et la témérité, c'est la peur, et l'inconscience. Les téméraires n'ont pas peur: ce sont des fous. Les courageux, comme elles, ont consciende de leur sort, mais l'affrontent. Là réside toute la différence: la frontière où commence mon respect.
Elle veut mourir dignement. C'est pourquoi elle aura droit à la souffrance. Il ne s'agit pas d'une douleur physique, non. Pas pour l'instant. la douleur morale est la plus forte. je veux la repousser dans ses derniers retranchements, je veux qu'elle guette sa propre image dans le miroir, qu'elle se méfie de tout ce qui l'entoure.

- Dis-moi... Sais-tu ce qu'est la peur ?

» A taaaaaaaaaable [ PV Misha ]