Les clefs de la ville - [ Ellen ]

Dans la nuit noire, le silence du ciel s'accorde avec le faible scintillement des étoiles. Une silhouette se découpe de la lueur glauque des lampadaires. Des frêles épaules sont recouvertes d'un voile de longs cheveux ébène. De minces chevilles s'étirent docilement au bas d'une longue jupe champêtre et leur blancheur attire l'œil. Malheureusement, personne n'est témoin de cet éblouissant spectacle. La jeune femme marche seule en direction d'un bâtiment mal éclairé. D'élégantes mains aux ongles laqués de noir s'insinuent dans le bustier de l'inconnue pour en ressortir un petit objet métallique qui oscille docilement au bout d'un long ruban de velours. La main fragile insère la clef dans la serrure et un déclic à peine perceptible se fait entendre. La clef retrouve sa place; contre la poitrine de la demoiselle. Son corps élancé s'infiltre à travers entrebâillement de la porte qu'elle referme à sa suite. Derrière le petit bâtiment, une grande tour dont plusieurs fenêtres sont toujours illuminées malgré l'heure tardive se dresse. Notre inconnue est entrée dans un endroit qu'un écriteau officiel nous indique être la morgue municipale.

Bien sur, la jeune femme n'aurait pas eu besoin de s'embêter à passer la porte. Elle aurait pu cligner des yeux et se retrouver à l'intérieur, ou avancer vers le mur de brique et s'y enfoncer comme dans un drap tendu. Mais cette inconnue aime bien ce qui la rend différente. Personne d'autre ne possède les clefs de la ville - enfin pas au sens propre. Le bout de métal froid contre sa peau la fait sentir plus grande, plus importante.

Dans les couloirs aseptisés, cette force de la nature avance, sachant exactement où la mèneront ses pas. Dans une salle où la blancheur des murs est aveuglante même dans la noirceur.

- Et les petits agneaux tomberont un à un . . .

Elle murmure ces paroles et tapotant du bout des doigts de larges tiroirs encastrés dans le mur. Ses phalanges caressent une petite porte où sa main s'est posée. Va-t-elle l'ouvrir . . .

Je parcours du regard chaque rangée de tiroirs prisonniers des murs. Les morts attendent toujours là... Une fois de plus, je me suis sentie entraîner par ce besoin de voir une dernière fois le visage de mes victimes. J'aime les visages. Je les compare tous à un seul, celui de mon frère. Pourquoi a-t-il fallu qu'il se fasse tuer au combat ? Et pourquoi n'est-il pas devenu un esprit ? Chaque personne que je tue a au moins un trait qui le rapproche de mon frère. C'est ainsi. Que ce soit le courbe entre sa lèvre supérieure et son nez, le dessin de son menton volontaire, son regard farouche. Aucune subtilité ne m'échappe. Et je les tue tous. Ils ne méritent rien d'autre. Pourquoi lui et pas eux ?
Des bruits de pas résonnent dans les couloirs, à cette heure tardive. Une personne qui manifestement, n'a pas peur de se faire remarquer. Un sentiment de malaise m'envahit, sans que je sache pourquoi. Etrange...
La porte s'ouvre, et je me tapis dans l'ombre. Même cette réaction m'étonne. Je n'ai aucune idée de ce qui m'a poussée à me cacher, peut-être une sorte d'instinct... Réflexe de survie, je ne sais pas.
La jeune femme qui vient d'entrer semble très jeune, et marche pourtant dignement dans la salle. Elle respire l'orgueil et le danger. Si certains peuvent se laisser avoir par ses airs d'ange, ce n'est pas mon cas. Il y a des signes qui ne trompent pas. Je sens autour d'elle une aura mauvaise, néfaste. Un vampire.

- Et les petits agneaux tomberont un à un . . .

Même cette phrase m'insupporte. Je suis comme oppressée, dans cette pièce. C'est pourtant ridicule. Je suis morte, que peut-il m'arriver de pire ? Disparaître... Mais c'est ce que je cherche depuis des années... Je me redresse alors. Depuis quand ai-je besoin de me cacher d'un simple vampire ? Je ne suis pas n'importe quel esprit. De plus, mon plan de l'autre soir me revient en tête.

- Ici, ils gardent surtout des cadavres humains... Pour les agneaux, il faut chercher ailleurs...

Etre morte ne m'empêche pas de maîtriser une certaine forme ... d'humour.

- Ici, ils gardent surtout des cadavres humains... Pour les agneaux, il faut chercher ailleurs...

Le cou droit de l'étrangère se fixe avant de faire un quart de tour. Ses yeux fixes semblent perdus dans le vide, mais ils se déposent rapidement sur une entité invisible pour le commun des mortels. La jeune femme qui vient de parler ne semble pas le moins du monde menaçante, Mais son interlocutrice ne se laisse pas avoir par son jeune et parfait minois. D'un sourire angélique, et de sa voix cristalline, elle lui répond innocemment.

- Je sais

Elle continue de laisser ses doigts tracer un chemin imaginaire contre les tiroirs métallisés, ne tournant jamais le dos à celle qui lui a parlé. Ne jamais sous estimer ses ennemis. D'un air nonchalant, elle s'arrête devant le tiroir numéro 33. Sa main traverse lentement la plaque de métal pour s'enfoncer dans le mur et un petit déclic se fait entendre alors que le tiroir glisse lentement vers l'extérieur. La parfaite créature retire sa main, et comme si rien ne s'était passé, elle fixe l'autre présence dans la pièce.

- Tu devrais fermer tes yeux Bambi.

Elle tire le tiroir continuellement jusqu'à ce qu'un corps soit entièrement dévoilé.

» Topics d'Ellen Peterson (si certains veulent mourir, c'est par ici)